l’Insomnie chez la femme à l’arrivée de la ménopause

Interview de Gabriel André

Dr Gabriel André

Gynécologue et vice-président du Groupe d’étude
sur la ménopause et le vieillissement hormonal (Gemvi),
Strasbourg.

Chez la femme, les modifications hormonales contemporaines de l’arrivée de la ménopause ont des répercussions importantes dans de nombreux domaines. Le sommeil n’est pas épargné et les insomnies sont alors beaucoup plus fréquentes, avec des conséquences délétères sur la santé et la qualité de vie. Entretien avec le gynécologue Dr Gabriel André.

En quoi la périménopause diffère-t-elle de la ménopause et pourquoi affecte-t-elle autant le sommeil ?


Gabriel André :  La ménopause est acquise lorsqu’une femme n’a plus de règles depuis 1 an. Les années précédentes, en périménopause, les cycles deviennent irréguliers et la sécrétion d’œstradiol 17 bêta (l’œstrogène de l’ovaire) devient irrégulière, faite de chutes brutales suivies de pics sécrétoires excessifs. Cette phase peut durer plusieurs années et altère considérablement la qualité du sommeil. S’y ajoutent des symptômes désagréables, comme les troubles de l’humeur et les bouffées de chaleur. Pour la femme, c’est la période la plus compliquée à vivre. La ménopause est « plus stable » avec un taux d’œstradiol constamment bas.

Les insomnies sont-elles dues aux bouffées de chaleur ou à la chute hormonale ?


GA :  Le sommeil est notamment perturbé par des bouffées de chaleur qui s’accompagnent le plus souvent d’un réveil [1]. Ces bouffées de chaleur et sueurs nocturnes sont associées à un syndrome inflammatoire. En dessous de 80 % de temps de sommeil sur la durée totale

de repos au lit, les cellules du système immunitaire sécrètent deux fois plus de cytokines inflammatoires. On note aussi une augmentation des facteurs de coagulation et donc l’aggravation du risque cardiovasculaire. Mais 20 à 30 % des femmes n’ont aucun symptôme vaso- moteur et peuvent tout de même avoir un sommeil perturbé du seul fait de la carence œstrogénique.

Est-ce que les troubles vasomoteurs perturbent le sommeil, ou est-ce l’inverse ?


GA :  Il y a une synergie entre ces troubles vasomoteurs et le sommeil. En évaluant des femmes en périménopause, on s’est aperçu que celles qui avaient à la fois un temps de sommeil court (moins de 5 h 30) et plus de deux bouffées de chaleur nocturnes avaient une épaisseur intima-média au niveau de la carotide deux fois plus importante que celles qui n’avaient pas de bouffées de chaleur [2]. Carence œstrogénique, symptômes ­vasomoteurs et troubles du sommeil ont un effet cumulatif dans l’activation du système nerveux sympathique. Il en résulte un syndrome métabolique avec association variable d’une obésité (notamment abdominale), de troubles lipidiques, d’une hypertension artérielle et d’une insulinorésistance. Toutes ces anomalies concourent à une accélération des maladies neurodégénératives et du vieillissement cardiométabolique.

Y a-t-il d’autres perturbations qui favorisent une insomnie ?


GA :  Avec l’arrivée de la ménopause, les femmes sont bien plus sujettes à l’apnée du sommeil. L’arrêt du fonctionnement ovarien favorise l’apparition du SAHOS (Syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil). Une étude suisse a suivi 2 000 femmes de 2009 à 2013 et a montré qu’un SAHOS modéré chez la femme est presque aussi fréquent que chez l’homme. Le risque de faire une apnée du sommeil est double en présence de symptômes vasomoteurs sévères. Il faut donc penser au SAHOS chez la femme, notamment en présence de symptômes vasomoteurs sévères et prolongés.

Comment diagnostiquer l’apnée du sommeil chez une femme en préménopause ?


GA :  La phase du cycle menstruel (en l’absence de contraception hormonale) durant laquelle est réalisée une polysomnographie de dépistage est très importante. Durant la seconde phase du cycle, après l’ovulation, la progestérone augmente et peut fausser les résultats de la polysomnographie. Elle retarde les microréveils et peut faire poser à tort un diagnostic de SAHOS, diagnostic qui n’apparaîtrait pas lors d’un examen effectué en première phase du cycle, en l’absence de progestérone. Le moment de cet examen chez une femme avec un fonctionnement ovarien normal est donc très important.

Il y a donc aussi une augmentation du risque de développer une maladie neurodégénérative ?


GA :  Effectivement, une dette de sommeil trop grande va favoriser l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde, starter de la maladie d’Alzheimer. On sait maintenant que le sommeil profond (ondes lentes) est déterminant pour éliminer les déchets toxiques cérébraux accumulés au cours de la journée. En France, on prescrit beaucoup trop de benzodiazépines et de composés Z qui certes aident à dormir, mais au détriment du sommeil profond, ce qui est très dommageable pour une bonne santé cérébrale.

Le traitement hormonal est-il une alternative aux somnifères ?


GA :  Le traitement hormonal favorise le sommeil sans modifier le sommeil profond. Il est en France fait d’œstradiol, le plus souvent transdermique. En présence d’un utérus, l’adjonction de progestérone ou de progestatif est nécessaire pour éviter un surcroît de cancers de l’endomètre. La progestérone naturelle a ici un intérêt particulier : l’un de ces métabolites, la tétrahydroprogestérone, est actif sur les récepteurs du GABA. La progestérone naturelle favorise le sommeil : temps d’endormissement raccourci, moins de réveils et temps de sommeil majoré. Elle augmente aussi le temps de sommeil ondes lentes dont nous avons vu l’intérêt [3].

Avant la controverse qui a eu lieu en 2002 (Encadré), un certain nombre d’études avait montré que donner un traitement hormonal chez la femme améliorait le SAHOS. En 2003, une étude menée sur plus de 2 500 patientes a montré qu’une thérapie hormonale à base d’œstrogènes et de progestatifs réduisait par deux la prévalence d’un SAHOS modéré, avec un index apnée-hypopnée supérieur à 15 [4]. Les progestatifs de synthèse stimulent les centres respiratoires. Ils ont d’ailleurs été testés chez l’homme dans cette indication. Comme pour les insomnies, les deux hormones ont un effet additif.

Comment mieux introduire les traitements hormonaux dans la prise en charge des insomnies ?


GA :  On ne peut que militer pour une collaboration renforcée entre les neurologues, les médecins du sommeil et les gynécologues. Le traitement hormonal a entre autres un intérêt particulier dans nombre de pathologies neurologiques telles que l’épilepsie ou la sclérose en plaques. L’idéal serait de pouvoir offrir une prise en charge globale aux patientes, en tenant compte de la spécificité des femmes.

Controverse du début des années 2000 sur le traitement hormonal


En 2002, une étude américaine a jeté un trouble, montrant qu’un traitement hormonal de la ménopause (THM) s’accompagnait (contrairement à ce qui était attendu) d’un surcroît de maladies cardiovasculaires et de démences [5]. Les chercheurs avaient réalisé leur étude chez des femmes âgées en moyenne de 63 ans, avec des facteurs de risque cardiométaboliques et trop longtemps après le début de la ménopause. Or un traitement doit être prescrit autour de la cinquantaine dans ce qu’il est convenu d’appeler maintenant la fenêtre d’intervention. Par ailleurs, les œstrogènes utilisés étaient des dérivés d’urine de jument. Quant au progestatif, il s’agissait de la MPA (acétate de métroxyprogestérone) qui a un effet corticoïde-like. Et malheureusement, comme cette étude est de forte puissance et randomisée, tout le monde a pris peur et les prescriptions du THM dans le monde ont été divisées par cinq. Cette étude n’est en rien transposable à des femmes jeunes et en bonne santé, traitées dans la fenêtre d’intervention avec des produits naturels comme c’est le cas chez nous.

Propos recueillis par Marine Laplace.

Références :

1. Salari N, Hasheminezhad R, Hosseinian-Far A et al. Global prevalence of sleep disorders during menopause: a meta-analysis. Sleep Breath 2023 ; 27 : 1883-97.

2. Heinzer R, Vat S, Marques-Vidal P et al. Prevalence of sleep-disordered breathing in the general population: the HypnoLaus study. Lancet Respir Med 2015 ; 3 : 310-8.

3. Caufriez A, Leproult R, L’Hermite-Balériaux M et al. Progesterone prevents sleep disturbances and modulates GH, TSH, and melatonin secretion in postmenopausal women. J Clin Endocrinol Metab 2011 ; 96 : E614-23.

4. Shahar E, Redline S, Young T et al. Hormone replacement therapy and sleep-disordered breathing. Am J Respir Crit Care Med 2003 ; 167 : 1186-92.

5. Writing Group for the Women’s Health Initiative Investigators. Risks and Benefits of Estrogen Plus Progestin in Healthy Postmenopausal Women: Principal Results From the Women’s Health Initiative Randomized Controlled Trial. JAMA 2002 ; 288 : 321-33.