Résumé :
Chez les femmes, le syndrome d’apnée-hypopnées du sommeil (SAHOS) reste sous-diagnostiqué et sous-évalué, en particulier avant la ménopause car les symptômes sont différents de ceux observés chez l’homme. Pourtant, les répercussions globales sur la santé sont importantes chez les femmes non ménopausées, notamment sur la santé mentale et l’altération de la qualité de vie. Après la ménopause, le SAHOS conduit à l’apparition des conséquences cardiovasculaires aggravées par la chute hormonale.
Introduction
Avant les années 2000, il n’y avait presque aucune étude qui portait sur les femmes et l’apnée du sommeil. Le syndrome d’apnées-hypopnées du sommeil (SAHOS) était une pathologie pensée comme exclusivement masculine. Cela a heureusement évolué et, depuis une quinzaine d’années, de plus en plus d’études se tournent vers la femme. Mais, en pratique, le diagnostic précoce et la prise en charge ne sont pas encore optimisés : c’est à partir de la ménopause que le diagnostic est plus facilement posé, car les symptômes sont mieux connus, proches de ceux présentés par l’homme. Des répercussions importantes du SAHOS sur la santé et la qualité de vie sont déjà apparues et des conséquences cardiovasculaires liées aux événements respiratoires s’intensifient à l’arrivée de la ménopause.
Évolution du SAHOS au cours de la vie des femmes
Avant la ménopause
Les femmes avant la ménopause sont moins sujettes aux apnées complètes : elles ne sont pas totalement obstructives, mais plutôt des hypopnées assimilables à un syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures qui provoquent des micro-éveils et fragmentent le sommeil [1].
Au lieu de ronflements et de somnolences diurnes, symptômes typiques du SAHOS chez l’homme, les femmes manifestent plutôt de la fatigue, de l’apathie, des troubles de l’humeur, des réveils nocturnes, parfois des douleurs au niveau des membres inférieurs, des douleurs musculaires et malaises vasovagaux. Le syndrome est alors confondu avec d’autres problématiques comme la surcharge mentale, l’hypothyroïdie ou des pathologies comme la dépression.
Protection hormonale
Plusieurs facteurs induisent cette différence, particulièrement les hormones féminines et leur rôle protecteur :
–les œstrogènes vont permettre une disparité dans la prise de poids : la masse graisseuse va avoir une répartition gynoïde, plutôt localisée au niveau du postérieur et très peu au niveau du cou [2].
–la progestérone augmente notamment le tonus musculaire des muscles dilatateurs du pharynx [3].
De plus, des études IRM ont montré que l’anatomie du pharynx chez la femme est moins propice à conduire à des apnées complètes [4].
L’ensemble de ces facteurs empêche la collapsibilité complète des voies aériennes supérieures.
Troubles liés au SAHOS chez la femme avant la ménopause
Malgré des apnées différentes, les troubles liés au SAHOS chez la femme avant la ménopause sont tout aussi invalidants dans la vie quotidienne : des troubles anxiodépressifs, de l’humeur, une fatigue et une irritabilité, qui ont des conséquences psychosociales lourdes dans la vie quotidienne [5]. Ces troubles rétroagissent de différentes manières. D’une part, la perte d’énergie peut conduire à l’isolement et à la réduction de l’activité physique, ce qui amplifie le SAHOS. Et d’autre part, lestroubles anxiodépressifs vont amplifier les insomnies comorbides du SAHOS à type d’insomnie d’endormissement, de réveils précoces ou d’insomnie de maintien contribuant à l’intensification des troubles du sommeil et des répercussions diurnes [6].
Ce retard diagnostique induit un risque de développement de facteurs de risques cardiovasculaires par l’activation sympathique comme le diabète, l’hyper- tension artérielle, la dyslipidémie qui seront le lit de pathologies cardio- vasculaires futures après la ménopause.
À l’arrivée de la ménopause
Autour de 50 ans, lorsque les femmes entrent en ménopause, les hormones protectrices chutent et cela conduit à une prise de poids avec une répartition androïde de la masse graisseuse, augmentant notamment la circonférence nucale. Le SAHOS préexistant va alors s’aggraver progressivement induisant une accentuation de la collapsibilité des voies supérieures. C’est ainsi qu’apparaît une symptomatologie plus similaire à celle de l’homme, à savoir des ronflements, des apnées décrites par l’entourage et une somnolence diurne importante.
SAHOS et conséquences cardiovasculaires
Chez la femme, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité avant le cancer du sein [7]. Après la ménopause, les facteurs de risque et pathologies cardiovasculaires, fortement associés au SAHOS, vont s’accentuer : hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral, trouble du rythme supraventriculaire, infarctus du myocarde et insuffisance cardiaque.
Les arrêts respiratoires répétés avec hypoxie intermittente favorisent une hypertonie sympathique conduisant à un stress oxydatif et à des réactions inflammatoires en cascade dont la conséquence est l’apparition des pathologies sus-citées [8].
Différents effets cardio-vasculaires
À court terme : l’hypoxie et l’hypertonie sympathique nocturne entraînent des accès de fibrillation régulière nocturne [9].
À moyen et long termes : le SAHOS conduit à un remodelage artériel, une hypercoagulabilité et une dysfonction endothéliale. Ces anomalies vasculaires vont contribuer à l’hypertension artérielle. De plus, cela entraîne des modifications métaboliques, notamment de l’accumulation de cholestérol et une augmentation de la résistance à l’insuline.
Tension artérielle nocturne
L’absence de diminution de la pression artérielle durant la nuit est à elle seule un risque cardiovasculaire majeur, car cet effet physiologique contribue normalement à l’homéostasie du système cardiovasculaire. La présence d’hypoxie répétée favorise le caractère « non dipping », délétère sur le plan cardiovasculaire, car pourvoyeur d’événements cardiovasculaires [10].
Diagnostic et traitement
Au regard de ces conséquences, il y a un enjeu important à diagnostiquer le SAHOS et prendre en charge précocement les femmes avant la ménopause. Cela leur permet de gagner grandement en qualité de vie et d’éviter le rebond brutal et ses répercussions au moment de la ménopause.
Un diagnostic adéquat
La polysomnographie permet de mesurer les micro-éveils en plus des désaturations alors que la polygraphie ventilatoire ne permet que de mesurer ce dernier paramètre. Comme les femmes avant la ménopause ne présentent que très peu de désaturations, seule la polysomnographie est adéquate pour la mesure de SAHOS. Un SAHOS est diagnostiqué et doit être pris en charge lorsque l’Index d’apnée-hypopnée (IAH) est supérieur à 15/h. Après la ménopause, comme chez les hommes, les désaturations sont aussi un indicateur pertinent en plus des micro-éveils. Le SAHOS est considéré comme modéré lorsque l’IAH se situe entre 15 et 30/h et sévère au-delà de 30/h. Une polygraphie ventilatoire est adaptée dans ce contexte, car les événements respiratoires sont davantage désaturants à cette période.
La prise en charge
Les deux alternatives thérapeutiques sont l’orthèse d’avancée mandibulaire (OAM) si l’IAH se situe entre 15 et 30/h ou la ventilation en pression positive continue (PPC) à partir de 30/h, ou entre 15 et 30/h s’il existe une comorbidité cardio- vasculaire grave ou une somnolence diurne excessive avec plus ou moins un risque accidentel. On peut également proposer un traitement d’épreuve par OAM ou PPC chez les patientes présentant un syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures si l’index de microéveils > 10/h et qu’elles sont très symptomatiques après justification auprès de l’Assurance maladie.
L’OAM est une bonne alternative thérapeutique chez les femmes non ménopausées, mieux supportée psychologiquement avec finalement peu d’effets indésirables. Les algorithmes des ventilations en PPC se sont également adaptés pour la prise en charge des hypopnées de courtes durées et des limitations de débit avec un meilleur confort pour la patiente.
En complément de ce traitement, il est primordial d’insister sur règles incontournables que sont la pratique d’une activité physique régulière, l’optimisation des règles d’hygiène du sommeil et le respect des règles hygiéno-diététiques avec réduction pondérale.
Conclusion
Contrairement à ce qui a été documenté pendant longtemps et lié aux pratiques, les femmes avant la ménopause peuvent être touchées par le SAHOS, la symptomatologie étant différente de celles des hommes et des femmes après la ménopause. En présence de ces symptômes, un diagnostic beaucoup plus systématique doit être effectué, la prise en charge précoce du SAHOS améliorant grandement la qualité de vie et la santé avant la ménopause, et évitant des répercussions cardiovasculaires brutales à l’arrivée de celle-ci.
Références :
1. Pépin JL, Guillot M, Tamisier R, Lévy P. The upper airway resistance syndrome. Respiration 2012 ; 83 : 559-66.
2. Lizcano F, Guzmán G. Estrogen deficiency and the origin of obesity during menopause. Biomed Res Int 2014 ; 2014 : 757461.
3. Driver HS, McLean H, Kumar DV et al. The influence of the menstrual cycle on upper airway resistance and breathing during sleep. Sleep 2005 ; 28 : 449-56.
4. Daniel MM, Lorenzi MC, da Costa Leite C, Lorenzi-Filho G. Pharyngeal dimensions in healthy men and women. Clinics 2007 ; 62 : 5-10.
5. Jehan S, Auguste E, Zizi F et al. Obstructive sleep apnea: women’s perspective. J Sleep Med Disord 2016 ; 3 : 1064.
6. Luyster FS, Buysse DJ, Strollo PJ. Comorbid insomnia and obstructive sleep apnea: challenges for clinical practice and research. J Clin Sleep Med 2010 ; 6 : 196-204.
7. Wang LYT, Chiang GSH, Wee CF et al. Preventing ischemic heart disease in women: a systematic review of global directives and policies. npj Womens Health 2 ; 2024.
8. Narkiewicz K, Somers VK. Sympathetic nerve activity in obstructive sleep apnoea. Acta Physiol Scand 2003 ; 177 : 385-90.
9. Lin CH, Timofeeva M, O’Brien T, Lyons OD. Obstructive sleep apnea and nocturnal attacks of paroxysmal atrial fibrillation. J Clin Sleep Med 2022 ; 18 : 1279-86.
10. Cuspidi C, Tadic M, Sala C et al. Blood pressure non-dipping and obstructive sleep apnea syndrome: a meta-analysis. J Clin Med 2019 ; 8 : 1367.


