Patient chronique et vie de couple : Un témoignane de Mattia et Géraldine

FICHE D’IDENTITÉ

  • Femme de 35 ans, mère de deux enfants
  • Pas d’antécédent
  • Deuxième grossesse, à 31 ans, compliquée d’un diabète gestationnel
  • IMC à 25
  • Se plaint depuis 3 à 4 ans de troubles du sommeil avec deux réveils par nuit, associés à une difficulté d’endormissement de l’ordre de 30 à 45 min
  • Dort 9 heures par nuit et présente une somnolence post-prandiale importante
  • Ne fait jamais la sieste, mais se sent épuisée dès 21 h
  • À l’interrogatoire, pendant les vacances, son entourage signale des nuits de sommeil de l’ordre de 11 h

UNE APNÉE DU SOMMEIL SÉVÈRE

Je souffre d’une apnée du sommeil sévère, à savoir 89 par heure en moyenne avec 80 micro-réveils. Je ne m’en suis jamais rendu compte, c’est ma compagne, Géraldine, qui a remarqué que, pendant la nuit, j’arrêtais soudainement de ronfler. Elle rapportait aussi mon humeur très changeante.

LES SYMPTÔMES

Durant toute ma vie, on m’a accusé de toutes sortes de choses : que c’était difficile de dormir avec moi, que je ronflais, que j’étais feignant, car je ne pouvais pas me lever le matin… À tel point que, pour moi, c’est devenu ma normalité et je ne me suis jamais dit que cela venait d’un problème médical. Ce n’est pas pour autant que ça m’allait… Je vivais constamment dans un état second, un brouillard, en dehors du moment présent. J’avais des maux de tête très forts et des reflux gastriques. Je n’ai jamais pu garder un travail classique car il m’était impossible de me lever. Pour pouvoir amener mon fils à l’école, je ne dormais pas la nuit, je travaillais jusque tard et restais éveillé, car je savais que je ne pourrais pas me réveiller le matin suivant.

LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT

C’est Géraldine qui s’est interrogée. Elle sentait que quelque chose n’était pas normal et a trouvé le Dr S. Ce dernier était d’ailleurs très étonné de me voir arriver directement à la clinique du sommeil, sans être passé par un médecin traitant. Là, ce fut miraculeux : je me souviens la première nuit après la mise en place d’un traitement, j’ai dormi 5 heures, mais, quand je me suis réveillé, ça n’avait jamais été autant réparateur. J’ai enfin l’impression de vivre le moment présent. Pour l’anecdote, Géraldine m’a réveillé la première nuit passée avec mon équipement parce que je ne ronflais plus, elle a pensé que quelque chose n’allait pas. Le lendemain matin, je me suis réveillé avant elle, et j’étais souriant.

L’ORGANISATION

Depuis que j’ai mon dispositif pour dormir, il n’y a pas eu de changements d’organisation par rapport à l’époque où je vivais sans. Mis à part, évidemment, que je dors la nuit, que j’arrive à me réveiller, et que je ne m’endors plus en journée. Seuls mes déplacements professionnels ont changé. Avant je conduisais la nuit, j’arrivais au petit matin et je dormais rapidement avant de commencer à travailler. Maintenant, je dois m’organiser pour passer la nuit à l’hôtel avec ma machine, une plus petite d’ailleurs, simple à transporter. J’aimerais d’ailleurs souligner que tout se passe toujours très bien avec les techniciens qui s’occupent des dispositifs. Au moindre problème, je bénéficie d’une assistance. Cela me fait toujours de la peine d’entendre des gens qui ne s’y habituent pas, car cela change vraiment la vie.

LE COUPLE

Avec Géraldine, nous avons des hauts et des bas, comme tous les couples, mais je ne vois pas de lien avec l’apnée ou même avec la machine maintenant. Par contre… si je passe 3 jours sans la machine, là nous allons avoir des problèmes ! En revanche, avec mon ex. compagne, mon état, avant le diagnostic d’apnée, posait problème dans notre vie de couple. Le sujet de la libido nous a questionnés Géraldine et moi. Le Dr S. nous en a parlé, mais nous n’avions pas l’impression que l’apnée avait un effet sur ma libido et sur notre vie sexuelle. En tout cas, nous n’avons pas vu de changements entre avant ou après la machine… L’arrivée du bébé a eu plus d’effet !

LE CONSEIL

Je souhaiterais dire aux patients qui sont dans la même situation qu’était la mienne qu’ils ne sont pas feignants, c’est un problème médical à traiter. La machine a eu véritablement un effet bénéfique physique et moral dans ma vie.

5 QUESTIONS À ÉLISABETH ROUMIGUIER, sexothérapeute (Auch, Tarbes, Fontenilles)

Élisabeth Roumiguier est infirmière de formation et se consacre depuis plusieurs années à son activité de sexologue. Elle collabore étroitement avec des médecins pour le suivi de leurs patients apnéiques et intervient dans de nombreux congrès. Elle met en avant l’importance de consacrer un temps à la vie sexuelle et affective des patients dans le cadre de leur prise en charge globale.

Comment en êtes-vous venue à aborder la vie sexuelle avec des patients apnéiques ?

C’est par l’intermédiaire d’un médecin avec qui je collaborais qu’une association de patients apnéiques m’a sollicitée pour des interventions. Après cela, j’ai été amenée à intervenir plus fréquemment pour ce type de problématique. Par cette expérience, ma pratique a changé et je me suis mise à aborder plus volontairement en consultation les susceptibles problématiques liées à l’apnée du sommeil. Cela a élargi mes questionnements sur les causes d’un problème sexuel. Actuellement, je reçois soit des patients adressés par des médecins, mais ce n’est pas très fréquent, soit des patients que j’ai repérés et qui étaient venus pour autre chose. D’autre part, de façon marginale, je vois aussi des patients avec des pathologies chroniques telles que l’obésité, les insuffisances respiratoires, le diabète, les maladies chroniques…

Qu’est-ce qui rend cette prise en charge particulière ?

Il est important de comprendre que la maladie prend beaucoup de place et que celle du sexe et de la vie de couple peut en être occultée. Pourtant, elle est essentielle pour certains patients et leur conjoint(e), permettant un équilibre, un soutien et une source de bien-être. Améliorer la vie sexuelle et affective de ces patients peut améliorer leur qualité de vie. Pour les patients en couple à l’annonce d’un diagnostic, il faudra s’adapter pour trouver un nouvel équilibre. Souvent les patients ont un stress supplémentaire vis-à-vis de leur conjoint(e), se demandant comment sera accueillie la maladie. Il y a aussi des patients qui, célibataires, doivent partir en quête d’une vie sexuelle en étant malade. Il ne faut pas que cela soit un frein, car l’abattement émotionnel et le découragement thérapeutique peuvent vite arriver. Passer à côté de la composante affective et sexuelle, c’est passer à côté d’une prise en charge globale du patient, mais aussi du vécu du ou de la conjoint(e).

Il est donc très important d’aborder ce statut de vie et les éventuelles difficultés en consultation, pour évaluer les effets secondaires supplémentaires qui peuvent survenir dans le parcours du patient. Sans avoir à gérer tout ce suivi, ouvrir le dialogue peut permettre aux médecins de rediriger leurs patients vers des spécialistes de l’accompagnement. Il est important que les patients se sentent pris en compte dans tous les aspects de leur vie et dans la reconnaissance des conséquences de la maladie chronique.

Pourquoi ces aspects sont peu pris en compte dans la prise en charge des patients ?

Les études de sexologie montrent que les médecins ne considèrent pas forcément cette thématique comme relevant du domaine médical. Les patients non plus ne questionnent pas leurs médecins, pensant que cela relève de “problèmes de couple”. Il en est de même pour les infirmiers. Chacun attend que l’autre en parle !

Comment aborder le sujet en consultation ?

Il ne faut pas avoir peur d’ouvrir la boîte de Pandore. La phrase « On sait que dans ce type de maladie, il peut y avoir des ré- percussions sur votre vie affective et sexuelle, qu’en pensez-vous ? » permet de montrer que la discussion est ouverte. Le patient peut ou non la poursuivre, s’il est prêt ou s’il en ressent le besoin, et cela permet au médecin de fixer un moment pour en parler, à la prochaine consultation par exemple. Dans un second temps, il est possible soit de passer le relais en redirigeant le patient, soit d’entrer dans cet échange en posant de nouvelles questions ouvertes comme « Qu’est-ce que cela a comme conséquences ? » Il peut être bien, parfois, de guider en indiquant des pistes de réponses qui s’ajoutent aux questions ouvertes : problèmes d’érection, de mésentente dans le couple, de désir, etc. ? Les questions ouvertes permettent au médecin d’aborder la question sans être intrusif et cela permet d’ouvrir le dialogue en montrant au patient qu’il est considéré.

Une fois le sujet abordé, comment se déroule la prise en charge ?

L’idéal pour la prise en charge est que les médecins puissent rediriger les patients vers un sexothérapeute en cas de besoin, si les patients ne l’ont pas déjà fait de leur propre initiative. Ensuite, s’il y a besoin d’une prescription, soit le médecin arrive à identifier précisément le problème, soit le sexothérapeute peut adresser une recommandation au médecin de spécialité ou traitant qui suit le patient. Parfois, une simple thérapie vient en aide à ces patients dont la maladie s’invite dans toutes les sphères de l’intimité. D’autres fois, le dialogue n’est pas encore établi entre les médecins et les “non médecins” alors que cela peut soulager la tâche des médecins. Il ne faut donc pas hésiter à construire son réseau de soignants complémentaires pour offrir aux patients la meilleure offre de soin spécialisée.