Le SAOS vu par le cardiologue. Hypertension artérielle : prise en charge et recommandations

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HYPERTENSION ET SYNDROME D’APNÉES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL : DEUX MALADIES TRÈS FRÉQUENTES ET SOUVENT ASSOCIÉES

• L’hypertension artérielle concerne plus de 40 % des adultes de plus de 50 ans.

• Premier facteur de risque modifiable et première cause de morbidité et mortalité cardiovasculaire. Avec un retard diagnostique et un contrôle insuffisant.

20 % des adultes présentent un IAH > 5.
• Environ 7 % des adultes présentent un SAOS sévère avec un IAH > 15.

Les liens entre HTA et le SAOS sont très étroits, à la fois sur le plan épidémiologique et sur le plan physiopathologique. En effet, le SAOS est présent chez près de la moitié des hypertendus essentiels tous venants (soit 4 ou 5 fois plus fréquent qu’en population générale), et ce lien se renforce proportionnellement à la sévérité de l’HTA, puisque 50 à 80 % des hypertendus résistants (soit chiffres non contrôlés malgré trois médicaments dont un diurétique) présentent un SAOS, et que la quasi-totalité des patients présentant une HTA nocturne (ou ne baissant pas la nuit) sont porteurs de SAOS 1.les patients porteurs de SAOS, consultant en première ligne les pneumologues ou médecins du sommeil, sont à haut risque cardiovasculaire, que la majorité d’entre eux sont hypertendus (on peut dire qu’aucun n’a de chiffres tensionnels optimums), et pour beaucoup d’entre eux, ne sont pas identifiés comme tels.

UNE PHYSIOPATHOLOGIE INTRIQUÉE

Au plan physiopathologique, l’HTA et le SAOS partagent des facteurs de risque communs comme l’obésité, l’alcool, le tabac, le diabète, le syndrome métabolique (voir annexe 1) 2.

Les épisodes de désaturation nocturne et les modifications de pression intrathoraciques pendant les obstructions :

activent puissamment les chémorécepteurs et barorécepteurs basse pression.
activent puissamment le système sympathique, déterminant dans l’élévation des chiffres tensionnels.

Dans les recommandations nord-américaines et européennes pour l’hypertension, le SAOS représente une cause secondaire d’HTA (comme la sténose des artères rénales ou l’hyperaldostéronisme primaire). Le SAOS est très fortement corrélé avec l’atteinte d’organes cibles 3.

Par exemple : la rigidité artérielle est très fortement corrélée au score de Berlin dans deux populations européennes 4. De manière plus large, les patients se plaignant de troubles subjectifs du sommeil ont une PA plus élevée que les contrôles 5.

PRISE EN CHARGE DE L’HTA ET DU SAOS

Les traitements de l’HTA n’ont pas d’influence sur la sévérité du SAOS.
Les diurétiques, comme la spironolactone, ont montré dans différents essais de petite taille un effet bénéfique modeste sur le SAOS 6.

• La prise en charge du SAOS par PPC peut permettre un meilleur contrôle de l’HTA 7, 9, toutefois modeste, équivalent à un demi-médicament, et un moindre retentissement sur les organes cibles (rigidité artérielle, hypertrophie ventriculaire gauche, maladie rénale chronique).

• Une baisse de 10 mmHg de PAS réduit de 40 % le risque d’AVC et de 30 % le risque d’IDM 10.

Globalement, le niveau de preuves de l’efficacité de la PPC n’est pas bien établi (classe IIb ; LOE B-R) 11, 12. En effet, les études de morbidité-mortalité testant l’effet de la PPC ont été décevantes, puisque, lorsque testée dans un essai thérapeutique rigoureux de grande taille, elle n’a démontré aucun bénéfice sur les critères durs (AVC, IDM, insuffisance cardiaque, décès) cardiovasculaires, malgré une amélioration symptomatique importante 13. Ceci est à mettre en parallèle avec l’efficacité de la prise en charge efficace de l’HTA (contrôle strict de la pression artérielle), laquelle permet de quasiment normaliser le risque cardiovasculaire.

GLOSSAIRE

Adhérence thérapeutique : prendre les médicaments prescrits à la dose prescrite

Atteinte d’organes cibles :

– augmentation de la rigidité aortique (vitesse de l’onde de pouls),

– maladie rénale chronique (réduction du DFG, micro-albuminurie),

– atteinte vasculaire rétinienne raïose (anomalies substance troubles cognitifs,

– atteinte stade 3⁄4 fond d’œil

HTA blouse blanche : pression artérielle (PA) élevée au cabinet, normale en dehors du cabinet

HTA masquée : PA normale au cabinet, élevée en dehors du cabinet

HTA résistante : HTA non contrôlée malgré un traitement IEC/ARA2 + inhibiteur calcique + diurétiques

HTA systolique : PAS > 140 et PAD < 90, reflète une augmentation de la rigidité artérielle

Inertie thérapeutique : réticence à augmenter les traitements antihypertenseurs, malgré des chiffres tensionnels non contrôlés

Non-dippers : absence de baisse de PA nocturne

Persistance : le fait de poursuivre un traitement chronique

PRISE EN CHARGE DE L’HYPERTENSION

1. Règles hygiéno-diététiques (RHD)

Impératives, quelle que soit la décision médicamenteuse (Tab. 1). Elles doivent être évoquées à chaque consultation, et idéalement prescrites au même titre que les médicaments.

2. Pharmacologie :

Commencer par une bithérapie en association fixe avec en priorité un IEC ou un antagoniste de l’angiotensine 2, associé à un antagoniste calcique ou un diurétique.

Les autres classes sont réservées à des indications spécifiques (insufisance cardiaque pour bêtabloquants par exemple). En cas de co-morbidité et/ou de grossesse en cours ou planifiée, adresser à un spécialiste.

Les antihypertenseurs centraux ont des effets sédatifs et peuvent augmenter la somnolence diurne.
Le propranolol passe la barrière hématoencéphalique et peut induire des troubles du sommeil.

• En cas d’HTA insuffisamment contrôlée ou résistante, la recherche d’un SAOS doit être systématique.

• Pour les HTA bien contrôlées, les explorations du sommeil seront réservées aux patients dépistés par questionnaires (STOP-BANG, Epworth, Berlin, etc.).

3. Intégration du risque cardiovasculaire :

Calcul du risque cardiovasculaire en prenant en compte les échelles SCORE-2, lesquelles intègrent sexe, âge, pression artérielle, tabac, cholestérol (voir annexes 2 et 3), le calcul du risque conditionne la précocité et l’intensité de l’intervention 16.

L’intervention doit prendre en compte l’ensemble des facteurs de risque modifiables, et se concentrer sur l’ordre dans lequel les facteurs de risque seront considérés.

L’algorithme idéal pour la prise en charge multifactorielle n’est pas établi. Il doit :

• prendre en compte le danger immédiat (HTA sévère), la pathologie associée en prévention secondaire (dyslipidémie pour maladie coronaire),

• éviter les injonctions contradictoires (arrêt du tabac primant sur la perte de poids),

• et prendre en compte les comorbidités (arthrose et exercice physique par exemple). Il est en effet illusoire de vouloir modifier tout en même temps.

• On doit aussi intégrer le risque théorique (calculé avec SCORE-2), en fonction des risk modifiers (Tab. 6).

• On établit un programme personnalisé avec le patient en fonction des considérations précédentes, l’intensité de la prise en charge étant proportionnelle au risque absolu.

Dans la pratique, tout patient dont le risque absolu est qualifié d’élevé (> 15 %) à très élevé doit bénéficier d’un suivi cardiologique.

Questions restant ouvertes

L’adhérence thérapeutique est un problème important de la prise en charge de l’hypertension, aussi bien que pour la PPC. La non-adhérence est un facteur majeur de résistance (près de 50 % des patients). Il serait intéressant de coupler avec les données d’adhérence à la CPAP, et ainsi de sélectionner les patients non-adhérents pour une action concertée favorisant l’adhérence thérapeutique.

RÔLE DU PNEUMOLOGUE DANS LA PRISE EN CHARGE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Le pneumologue n’a évidemment pas vocation à se substituer ni au cardiologue ni au médecin généraliste (Tab. 4) ! Cependant, il se retrouve souvent dans la position privilégiée de premier contact médical. Il serait donc bénéfique pour le patient que les pneumologues puissent, de manière proactive, contribuer à identifier les patients hypertendus à haut risque CV, et les référer plus tôt au cardiologue et/ou échanger avec le médecin référent, évitant l’inertie thérapeutique, cause majeure de morbidité-mortalité 14.

Quelques règles simples concernant :

• l’hypertension artérielle et les principaux facteurs de risque cardiovasculaire,
• l’identification des patients hypertendus à haut risque,

• préconisation de l’auto-surveillance,

• le choix des patients à référer chez le cardiologue quand nécessaire

• et initiation, éventuellement, de la prise en charge médicamenteuse 15.

Les pneumologues doivent aussi :

• prendre en charge la somnolence diurne, accompagnant le SAO,

• savoir que certains médicaments antihypertenseurs (notamment les antihypertenseurs centraux) peuvent provoquer ou aggraver la somnolence,

• savoir que les médicaments spécifiques de la somnolence (Tab. 5) peuvent modifier la pression artérielle, le plus souvent par un effet sympathomimétique

• et anticiper ces situations pour renforcer le traitement antihypertenseur pour obtenir un contrôle tensionnel optimal préalablement à leur introduction.

DÉFINITION DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Le diagnostic d’hypertension artérielle se porte aussi bien sur les pressions mesurées au cabinet (au moins deux mesures à plusieurs jours d’intervalle), en automesure tensionnelle, ou avec la mesure ambulatoire (Tab. 2). Bien que les deux dernières soient plus précises, du fait de la répétition des mesures, le caractère universel de la mesure par le médecin explique son maintien dans l’arsenal diagnostique. Dans tous les cas, les conditions méthodologiques sont à respecter :

• Utiliser un appareil oscillométrique validé.

La majorité des appareils sur le marché ne sont pas validés correctement, ce qui aboutit bien souvent à de faux diagnostics.

Respecter le repos 5/10 min avant les prises

(cabinet, automesure) (Tab. 3).

Reporter les chiffres tensionnels

sans arrondi et calculer la moyenne (Tab. 1).

Pour l’automesure tensionnelle,

respecter la règle des 3×3 : trois mesures matin (avant prise de médicament), trois mesures soir, trois jours successifs, tous les mois. Position assise, repos de 5 min. Mesures à reporter sur un carnet à apporter à chaque consultation, calculer les moyennes. Si possible, utiliser un site validé 2.

Bibliographie

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